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Entretien à Baltimore avec Matthew Porterfield, le réalisateur de « I used to be darker »

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i-used-to-be-darker-posterSi Baltimore reste associée à The Wire, la captivante série de David Simon, et à l’extravagance du cinéma de John Waters (Hairspray, Pink Flamingos...), il faudra désormais compter avec un autre représentant du cinéma indépendant américain.

Matthew Porterfield, 36 ans, est originaire de cette ville du Maryland, où il a déjà tourné Hamilton (2006) et le très remarqué Putty Hill (2010). Avec I used to be darker, sélectionné à Sundance en 2013 et qui sortira en salles le 24 décembre, il poursuit sa délicate exploration de la jeunesse américaine désorientée à travers l’histoire d’une adolescente irlandaise en fugue, qui débarque à Baltimore et trouve refuge chez sa tante, dont la famille est en pleine crise.

En parallèle de son travail de cinéaste, Matthew Porterfield enseigne aussi à l’université de Johns Hopkins, où il nous reçoit dans son bureau. Au mur, des affiches de films de Robert Bresson. Dans la bibliothèque, une myriade de livres sur le septième art, avec un goût manifeste pour la Nouvelle Vague. Entretien avec un réalisateur qui a son dernier film dans la peau (Cf son tatouage dans la photo ci-dessous!).

Les adolescents ont une place centrale dans vos films. Pourquoi prêtez-vous une telle attention à la jeunesse ?

Je m’intéresse aux personnages en transition. J`aime les films portant sur le passage à l’âge adulte,  dans lesquels les personnages sont dans une phase de changement. Ils ne savent pas où aller, ni ce qu`ils veulent faire et doivent élaborer leur propres codes de conduite, dans une société où les rites de passages restent très traditionnels.

Matthew Porterfield dans son bureau de Johns Hopkins. De toute évidence, son film, il l'a dans la peau (cf son bras gauche)

Matthew Porterfield dans son bureau de Johns Hopkins. De toute évidence, son film, il l'a dans la peau (c'est-à-dire sur son bras gauche)

Votre troisième film se déroule à nouveau à Baltimore, comme les deux précédents. Pourquoi ce choix?

C’est l’endroit qui me semble le plus passionnant à explorer à travers le cinéma. En faisant des films, j`apprends beaucoup sur Baltimore, ses habitants. C’est une ville qui reste toujours remplie de mystères alors que j’y ai grandi et que je la connais plutôt bien.

Les films que j`admire le plus s`inspirent des lieux personnels, dans lesquels un cinéaste tisse une vraie relation à l`espace. Je m’intéresse aux réalisateurs comme Ken Loach, Apichatpong Weerasethakul ou Pedro Costa qui cherchent à représenter un espace au niveau local.

Pourtant, contrairement à Hamilton et Putty Hill, vous ne filmez presque pas la ville dans I used to be darker. La plupart des scènes ont lieu à l’intérieur, que ce soit dans des maisons ou des voitures.

Ici, la ville est plutôt un personnage. Hamilton était l’étude d`un lieu, alors que ce film porte davantage sur les personnes. L’endroit est plus spécifique. Je m’intéresse à Roland Park, à sa classe moyenne supérieure, à son quartier résidentiel « petit bourgeois », avec cette jeune fille qui étudie dans une école privée, son père qui a réussi dans les affaires mais qui a aussi une fibre artistique.

L`une des nouveautés de votre film tient dans l’utilisation de musique. Vous dites être très influencé par le cinéma de Robert Bresson et par son livre « Notes sur le cinématographe ». Pourtant, dans celui-ci, il écrit : « Pas de musique d'accompagnement, de soutien ou de renfort. Pas de musique du tout »

Lorsqu’Amy Belk et moi écrivions ensemble le scénario, nous écoutions beaucoup de musique, notamment l`album de Bill Callhan “Sometime we wish we were”. Le titre du film vient de l’une de ses chansons.

Les règles de Robert Bresson sont toujours pour moi comme des références, c’est une bible. (Il pioche le livre dans sa bibliothèque et me montre avec un sourire la note de bas de page).  « Sauf, bien entendu, la musique jouée par des instruments visibles ».

 Bill (Ned Oldham) dans une séquence où la musique révèle la nostalgie du personnage concernant sa jeunesse perdue.

Bill (Ned Oldham) dans une séquence où la musique révèle la nostalgie du personnage concernant sa jeunesse perdue.

 Ceci explique-t-il que la musique soit constamment jouée directement par les personnages du film ?

Oui. Dans le film, la musique est pour ce couple en plein divorce une manière de se reconnecter à leur jeunesse, à leur passé, à eux-mêmes.

Les performances, dans lesquels les personnages jouent en direction d`une camera fixe, créent une distance avec le public, et en même temps, ces moments rapprochent les spectateurs au plus près des personnages, grâce aux paroles et au contenu émotionnel des chansons.

Taryn (Deragh Campbell), l'adolescente en pleine fugue de I used to be darker

Taryn (Deragh Campbell), l'adolescente en pleine fugue de I used to be darker

Vos personnages sont joués par des acteurs non professionnels, même si vous faites intervenir très brièvement Adèle Exarchopoulos, révélée dans la vie d’Adèle.  Pourquoi ce choix ?

Ah vous l’avez reconnue ? Adèle a tourné dans I used to be darker avant de jouer dans le film d’Abdellatif Kechiche, elle n’était pas du tout connue à l’époque.  Nous avons fait une audition sur skype et elle a été très convaincante.

Quand vous voyez pour la première fois un personnage à l’écran quelque chose de nouveau apparaît. S’il est joué par une star, vous évaluez sa performance en fonction de standards déjà établis. J’aime jouer avec les attentes et les impressions des spectateurs.

I used to be darker est votre premier long-métrage présentant un scénario complet. Cependant, vous n’y racontez pas vraiment une histoire, vous saisissez plutôt des moments d’intimité, des bribes de vie.

Je n`ai jamais appris toutes ces règles de narration et cela ne m’intéresse pas. Je ne comprends pas pourquoi l`on raconte des histoires toujours de la même façon, c’est-à-dire de façon très structurée. J`ai toujours gardé mes distances avec les théories concernant l’écriture de scénario.

Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les histoires, mais les gens, les endroits, les associations d’images, le fait de créer une sorte d’atmosphère. Ce qui m’intéresse, ce sont les images et le travail de montage.

Avez-vous l’impression que cette liberté de ne pas être dans le storytelling est davantage permise par les courts-métrages ?

Dans les courts-métrages, on n’impose pas les mêmes contraintes que celles attendues dans les longs-métrages. J’aime la liberté offerte par les courts-métrages, l`idée que la vie continue au-delà du cadre. En termes de storytelling, j`aime les histoires qui n`ont pas forcement de dénouement et qui continuent sans moi.

C`est difficile d’être indépendant car ce n’est pas forcement bien vu. Quand le film a été sélectionné a Sundance, on disait que je travaillais à nouveau avec des comédiens non professionnels, que l`intrigue était sinueuse, comme s’il s’agissait de problèmes alors que tout ceci était souhaité. Ces choix esthétiques sont mieux acceptés par le public européen qu`aux Etats-Unis.

Comment expliquez-vous cela ?

En Europe, les expérimentations formelles sont mieux reçues. Aux Etats-Unis, mes films ne toucheront jamais un large public si je ne fais pas certaines concessions, comme faire jouer des acteurs connus ou écrire un scénario avec un élément perturbateur, une structure en trois parties et un dénouement.

Êtes-vous prêts à faire de tels concessions?

Oui, pour mon prochain film, je vais travailler avec des acteurs professionnels. L`autre idée serait de jouer un peu avec les genres. Aux Etats-Unis, l`industrie parle surtout des films d`horreur, des thrillers, des films policiers… Une fois réalisés, ces films touchent un grand public. Je ne ferai probablement jamais de film d`horreur mais il peut être intéressant de jouer avec les attentes du public concernant un genre.

I used to be darker 4

Mais dans I used to be darker, vous  jouez déjà avec une fibre mélodramatique, notamment dans le traitement de la musique.

Aux Etats-Unis, mélodramatique est un terme péjoratif. Mais oui, c’est ca, le film est un mélodrame. J’y ai beaucoup pensé au moment de l’écriture, c`est un genre qui me parle beaucoup. L’idée que l`on puisse incorporer des chansons, que les personnages jouent des morceaux  pour accroitre l’émotion à l’image, comme dans Nashville de Robert Altman ou « Ne change rien » de Pedro Costa m’intéresse.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre prochain film ? S’agira-t-il à nouveau d’un film sur des adolescents ?

En ce moment, j’écris l`histoire d`un homme de 33 ans qui a passé un certain temps en prison pour trafic de drogue et qui se retrouve en liberté conditionnelle. Il habite avec son père et commence à se frayer un chemin dans le monde libre. Bien qu’il soit en probation, il est enfermé chez lui et expérimente toujours un grand isolement. C`est une étude de caractère. Ce sera surement mon film le plus ouvertement politique.

Les adolescentes de Putty Hill (2006), premier long-métrage du réalisateur.

Les adolescentes de Putty Hill (2006), premier long-métrage du réalisateur.

Tournerez-vous à Baltimore ?

Je veux tourner dans le sud de Baltimore, dans un endroit appelé Dundalk. C’est une ville industrielle construite pour les ouvriers. Mon grand-père travaillait là-bas. Aujourd’hui, il y a de plus de plus de chômage, il n’y a plus d’emploi pour les gens de mon âge alors qu’il y en avait encore beaucoup pour la génération de mon père.

Cette fois, travailler avec des acteurs professionnels aura du sens. C’est une étude de caractère où les rôles du père et du fils sont très importants.

Est-ce aussi une manière de faire des concessions avec l`industrie du cinéma ?

Oui. Je crois que c`est la seule manière de toucher un public plus large public.

Pour I used to be darker, vous avez eu recours au crowdfunding. Qu’en est-il pour votre prochain film ?

Un quart du budget a été finance par Kickstarter, le reste provenait de financements privés. Pour chaque film, il faut tout réinventer. Cette fois, j’espère obtenir une coproduction avec la France ou l`Allemagne mais c`est difficile car nous n`avons pas de traités officiels pour permettre cela. Mais je sens que j’ai plus d’affinités avec le public européen que je n’en ai aux Etats-Unis.

La bande-annonce de I Used to Be Darker qui sortira le 24 décembre:

L'amusante vidéo utilisée pour financer le film par le biais du crowdfunding:

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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